poutine au paprikás

lundi, octobre 02, 2006

Curling à la hongroise



Plusieurs d’entre vous veulent savoir comment se passe le curling. Même si je joue depuis plus d’un mois maintenant, j’ai tardé à répondre parce que la situation change constamment et que je ne sais plus trop sur quel pied danser. Mais avant d’aborder la partie épineuse de la question (car je crois que je suis en train de me faire passer un sapin magyar), laissez-moi planter le décor.

Le seul établissement où l’on pratique le curling en Hongrie se trouve en banlieue éloignée de Budapest. Il a ouvert ses portes il y a un an environ. Ce n’est pas un club de curling comme on l’entend au Canada; en quelques mots, c’est une cabane de tôle au bout du monde avec deux glaces dedans. Elle appartient à un bonhomme hongrois qui la considère comme un investissement et qui veut transplanter la fièvre du curling dans son pays. Ici comme partout en Europe, le curling coûte une beurrée (relative) et est l’apanage des gens riches, un peu comme le polo, le ski dans les Alpes ou un repas chez Burger King.

Pour ainsi frayer avec l’élite budapestoise, je dois prendre, dans l’ordre, un tramway, une navette, puis un autre tramway. Normalement, ce serait 10 minutes de marche puis un seul tramway, mais les transports en commun sont chambardés du côté de Buda en raison de la construction de la ligne de métro numéro 4. Bref, une heure à l’aller, une autre heure au retour.

Rien à redire sur le premier tramway et la navette, sauf que la ligne de tramway numéro 18 est meilleure que la 61 parce qu’elle longe le Danube brun pendant un bout et passe devant mon pont préféré, Sabadsag hid, le pont de l’indépendance. Quant au dernier tramway, le 41, c’est une autre paire de manches.

D’abord, le véhicule est une véritable antiquité. Je vous jure qu’il date d’avant la Deuxième guerre mondiale! Plus rien qui marche : on ne peut plus baisser les fenêtres, les lumières sont toujours éteintes et certaines portes n’ouvrent pas. Dès que le conducteur fait de la vitesse (lire : essaie de doubler un piéton), ça brasse tellement qu’on a l’impression qu’on va renverser à tout moment. Au début, je trouvais ça romantique : j’allais prendre le petit char comme grand-maman dans le temps, mais maintenant, quand je vois les nouveaux modèles modernes qui passent devant chez nous, je trouve ça moins drôle, le musée des transports.

Mais il n’y a pas que le véhicule antique, il y a le trajet surtout! Les dix premières minutes, on traverse une banlieue de l’ère soviétique. À perte de vue, des blocs appartements de 10 étages d’une laideur et d’une tristesse sans nom. La seule variante, c’est que certains occupants ont fermé le balcon, d’autres, non. Il paraît qu’à la dissolution du régime soviétique, les occupants ont eu l’occasion d’acheter leurs logements à très bon marché. Beaucoup en ont profité, mais n’ont fait aucun entretien depuis les 15 dernières années. Résultat : les édifices sont terriblement délabrés, et les espaces publics qui les séparent, lamentables. Même de loin, quand on les regarde d’une montagne, ces quartiers font peur. De près, ça ne s’arrange pas, croyez-moi.

Quelques kilomètres plus loin, un changement radical : on quitte l’urbanisme soviétique pour entrer dans un nouveau type de banlieue propre à Buda : les collines des gens riches et célèbres. Un peu comme à L.A. quoi, mais Buda-style! Fini le peuple, bonjour les people! Budapest est ainsi faite : à l’est, Pest, plate comme Jane Birkin, et à l’ouest, Buda, ronde comme… Suzanne Lapointe (je sais pas pourquoi, j’ose pas écrire Ginette Reno). Mais les bourgeoises collines sont loin de tout, et on ne peut y habiter sans voiture. Nous-mêmes, à qui on a proposé des logements VIP dans un cadre similaire, avons refusé parce que ça prend une voiture pour aller chercher une simple pinte de lait.

Bref, 15 minutes d’étalement urbain tous azimuts autour des collines. Et là, attachez vos tuques, on voit de tout : des maisons de nouveaux riches d’un mauvais goût atterrant, des projets domiciliaires parachutés au milieu de champs de betteraves, des champs de betteraves où paissent paisiblement chevaux et vaches, des roulottes de romanichels, un centre commercial complètement neuf et complètement vide, un aéroport (il y avait un petit plat), des sans-abris couchés dans des boîtes de carton, des aménagements urbains (rues, trottoirs, lampadaires, etc.) sans aucune maison et, surtout, des arbres fruitiers gorgés de fruits mûrs, dont les branches ploient jusqu’au sol sous les poires, les pommes et les prunes. La bucolique banlieue éloignée, quoi. Et au milieu de tant de beauté, à l’avant-dernier arrêt de la ligne 41, jouxtant les rails de tramways, trône ni plus ni moins que le centre de l’univers : le non-club de curling!

Croyez-moi, croyez-moi pas, c’est tellement creux que, la première fois que je suis sorti de la cabane le soir pour marcher jusqu’à l’arrêt de tramway, je ne voyais pas la route! Noir comme chez le loup + aucun repère = j’ai pris le clos deux fois avant de me rendre parce que je ne voyais pas la rue! Perdu, tu dis?