poutine au paprikás

mardi, octobre 17, 2006

Les as du service



Maintenant que nous sommes installés chez nous, je m’accommode comme je peux de mon rôle d’épouse expatriée, ou « expat wife », ces femmes de pdg qui parcourent le monde en meutes sanguinaires et sèment la terreur parmi les indigènes. Cela dit, je ne passe pas (encore) mes après-midi à jouer au bridge ou à discuter des endroits qui vendent du beurre d’arachide, car ce n’est pas (encore) mon genre de chercher coûte que coûte à reproduire notre mode de vie nord-américain dans tous ses détails… MAIS… Je sympathise de tout cœur avec les külföldiek (étrangers) en Hongrie lorsqu’ils déplorent l’absence totale de service dans… les services.

Magasins, fournisseurs, restaurants, bains thermaux : partout où nous entrons comme clients, nous constatons que la notion de service à la clientèle ne fait tout simplement pas partie de la vie hongroise. Bon, il y a des exceptions, surtout au resto et surtout quand on vous charge 10 % de… service systématiquement avec l’addition. Et encore, oubliez ça, les « tout est à votre goût? » ou « je vous réchauffe votre café? »; ici, il faut agiter les bras comme un moulin à vent juste pour attirer l’attention des serveurs.

Dans les magasins hongrois, les vendeurs nous ignorent. Au bain thermal, c’est à peine si on nous indique où aller. Nous avons le téléphone depuis trois semaines, mais nous sommes incapables de prendre nos messages parce que tout est en hongrois et personne de la compagnie téléphonique ne peut/veut nous aider. Il m’est arrivé d’entrer dans un établissement, de demander si quelqu’un parlait anglais et de voir les employés me tourner carrément le dos et disparaître. En deux mots, aucun effort.

Ce petit préambule permet d’apprécier l’exploit que j’ai réalisé ce matin en obtenant finalement l’adaptateur qui me permet d’utiliser notre imprimante en Europe. En ouvrant notre appareil Canon, nous avions remarqué que le cordon d’alimentation menait à un transformateur de courant 110 volts. Nous avons cru qu’en le remplaçant par un transformateur 220 volts, nous pourrions utiliser la même imprimante ici. Et nous avions raison : ça marche! Mais que d’efforts, les amis, que d’efforts! Quatre appels téléphoniques interminables chez Canon Hongrie et quatre visites au fournisseur de produits Canon régional (pas trop loin, heureusement). Comment ça, quatre visites?



Une fois pour demander si c’est bien la bonne place, s’ils ont la pièce, etc. D’abord, l’homme à la réception ne parle pas un mot d’anglais et semble très occupé à faire les photocopies d’une vieille madame. Quand il n’a vraiment plus rien à faire (mettons dix minutes), il appelle le gars qui parle anglais, qui arrive un autre dix minutes plus tard. Pendant ce temps, je poireaute dans la boutique, faisant les cent pas entre photocopieurs et imprimantes. Le gars qui parle anglais arrive, mais il ne parle pas vraiment anglais, alors il appelle la fille qui parle vraiment anglais. Dix autres minutes plus tard, celle-ci se matérialise. (Entre-temps, le patron, qui passait par là, mais qui ne parle pas anglais, s’est joint à notre joyeux groupe.) Discussion + traduction = on ne sait pas si c’est possible, on va voir et on communique avec vous. Je leur laisse mon adresse électronique (pas le numéro de téléphone, car nous ne pouvons pas prendre nos messages).

Une semaine plus tard, toujours sans nouvelle, je décide d’aller m’enquérir en personne. Mêmes figurants, même scénario, mais un peu plus rapidement (le gars qui parle pas vraiment anglais et la fille qui pourrait juste descendre toute seule arrivent plus vite, et le patron n’y est pas). J’apprends qu’on ne sait toujours pas si on peut commander la pièce. Pourquoi? Parce qu’on ne s’est pas renseigné. Pourquoi? Pas de réponse; c’est la vie en Hongrie. Bon, je leur fais des yeux, puis je leur demande de se renseigner et de m’aviser quand ils sauront.

Une autre semaine plus tard, passant par là (pas vraiment, mais je me sens tache), je fait un saut « au cas où ». Le gars de la réception commence à être tanné de me voir et appelle à l’aide dès qu’il me voit la face. Le dynamique duo arrive cinq minutes plus tard, un record. Où en sommes-nous? Oui, on peut commander la pièce, mais comme c’est un peu cher, on voulait confirmer avec vous avant. Confirmer comment? Quand? Je n’ai jamais reçu de courriel à ce sujet. C’est parce qu’on ne m’a pas écrit encore. Bon, alors je confirme séance tenant et je demande qu’on m’avise par courriel quand la pièce sera arrivée. Je me dis que ce sera peut-être mon cadeau de Noël, cette pièce.

Quelques jours plus tard, un courriel : la pièce est là! Ne faisant ni une ni deux, je me précipite à la boutique pour aller l’acheter, une opération relativement simple, me semble. Erreur! Même scénario : j’entre, le commis appelle le gars qui parle pas vraiment anglais. Ce dernier descend cinq minutes plus tard, puis appelle la fille qui parle vraiment anglais. Celle-ci arrive cinq minutes plus tard pour me dire que la pièce est en haut et qu’on est en train de me faire une facture. Elle remonte, mais redescend un autre cinq minutes plus tard afin de me demander mon adresse, pour la facture. (Mais pas le nom de fille de ma mère, cette fois). Tout ce temps-là, j’ai ma pièce et j’attends simplement la facture… (D’ordinaire, je me croirais victime d’un complot international ourdi par un ennemi diabolique. Mais maintenant que je connais mieux la Hongrie, je sais malheureusement que tout se passe ici le plus normalement du monde.)

Enfin, la facture! Mais attendez, y a pas le câble pour brancher la pièce? Ah non, pour ça, il faut aller dans un autre magasin. (Re-soupir, mais pas trop : le magasin en question est au Mammut II). Remerciements grinçants à mes nouveaux amis pour leurs efforts surhumains, car je sais qu’ils viennent d’atteindre de nouveaux sommets en matière de service à la clientèle. Sourires de circonstance et départ précipité avant une autre tuile.

Ceci est un drame vécu. Et comme la réalité hongroise dépasse la fiction canadienne, je n’ai même pas besoin d’en remettre. Maintenant, imaginez tout ce que contient une maison et multipliez par 1000 : vous ne me poserez plus la question « Et toi, Normand, que fais-tu de tes journées? ».